Quand j’entends parler du leadership au féminin, de femmes managers, tout de suite je suis agacée ! Evoquer les pratiques managériales et citer spécifiquement les femmes est une manière de les mettre à part, de les enfermer « dans une case ». Parler de management au féminin est une façon de stigmatiser encore un peu plus et entretient, malgré une « bonne » intention de départ, une forme de sexisme.
Rien que de parler des « femmes managers » donne l’impression au mieux que c’est une exception, au pire qu’il s’agit d’une anomalie ! Pourtant l’expression persiste, sous entendant ainsi que le management reste en premier une affaire d’hommes. Or la quête de performance devrait être avant tout fondée sur les compétences des individus, ce qui devrait normaliser la présence des femmes dans tous les rôles de leadership. Pour accélérer le changement de regard sur ce sujet, il faut tout prendre conscience du sujet et rester en vigilance sur son vocabulaire.
Faisons le point ensemble dans cet article.
La notion de plafond de verre ne date pas d’hier. Les difficultés pour les femmes d’accéder aux postes les plus importants de l’entreprise sont flagrantes et évoluent peu.
Qu’est-ce que le plafond de verre ? Le plafond de verre désigne l’ensemble des barrières invisibles – stéréotypes, biais conscients ou inconscients, réseaux d’influence fermés et souvent discrets – qui peuvent limiter l’ascension professionnelle des femmes.
Le résultat est que depuis longtemps, ces façons de penser et d’agir se traduisent par une sous-représentation massive des femmes dans les postes de direction. A cela s’ajoute que la présence des femmes dans les fameux « Codir » (Comité de direction) correspond en majeur partie à des fonctions RH ou Marketing & Communication – souvent associés aux valeurs féminines dans l’esprit des gens – mais rarement aux postes clés !
En 2025, la situation a certes évolué dans le bon sens. Pour autant, les chiffres montrent que le plafond de verre n’a pas disparu et qu’il est encore tenace. Dans les grandes entreprises françaises, environ 45 % des managers de proximité sont des femmes. Ce pourcentage chute à mesure que l’on monte dans les niveaux de hiérarchie des organisations : seulement un tiers des membres des comités exécutifs et à peine 20 % des PDG sont des femmes. Et elles n’occupent que 6,25 % des postes de numéro un des entreprises du CAC 40 en 2023 (contre 3,75 % en 2022 et 2,5 % en 2021).
Les derniers chiffres montrent de grandes disparités entre les secteurs d’activité. Dans certains secteurs comme la « tech », l’industrie lourde ou la finance, les écarts sont encore plus grands.
Les femmes, seraient-elles moins compétentes ou moins ambitieuses ? Les chiffres montrent que non et nous indiquent l’inverse !
Soutenir les femmes à des postes de leader est surtout bon pour les affaires. Les entreprises dont au moins la moitié des postes de direction sont occupés par des femmes enregistrent une plus forte croissance de leur chiffre d’affaires, sont plus rentables et obtiennent un meilleur rendement de leurs actifs. Après avoir analysé 21 980 entreprises dans 91 pays, le résultat est sans équivoque : le fait d’avoir des femmes dans le top management est un vecteur de performance.
Alors pourquoi les femmes restent-elles en retrait dans la hiérarchie managériale ? Les carrières des femmes sont interrompues par la maternité. Les réseaux de promotion en entreprise restent encore dominés par les hommes. De nombreux moments informels se déroulent en fin de journée, voir en début de soirée. Les biais cognitifs ont la vie dure : le leadership est très associé à des comportements dits « masculins » comme la ténacité, l’autorité (souvent confondu avec l’autoritarisme), la compétitivité… Et que dire du concept de « disponibilité » qui est souvent perçu comme impossible pour une femme, surtout quand elle est mère !
Le plafond de verre a encore de beaux jours devant lui. Il est moins flagrant, moins assumé et plus subtile qu’autrefois. Me-Too est passé par là et ce ne serait pas « politiquement correct ».
Est-ce pour cette raison que l’on continue à parler de « femmes managers » ? Est-ce une manière de rappeler que l’égalité n’est vraiment pas encore atteinte ? Et pour montrer qu’on agit pour améliorer la situation…
Le sujet revient en permanence au travers de conférences, d’articles, de podcasts, de tables rondes. Est-ce que l’expression « femme manager » est encore pertinente ? En réalité, le fait même de mettre à part les femmes managers soulève plusieurs problèmes.
En premier lieu, nous observons un biais sémantique ; le vocabulaire choisi crée une distinction artificielle. On ne parle jamais d’« hommes managers ». Le simple fait de préciser le genre suggère que le manager « par défaut » est un homme, et que les femmes constituent une exception. Cela revient à enfermer les femmes dans une case, comme si ce rôle restait exceptionnel pour une femme.
Ensuite, il existe un risque de « tokenisation » : valoriser une femme uniquement parce qu’elle est une femme, et non pour ses compétences. Cette démarche s’apparente à vouloir cocher à tout prix la case « diversité ». Certaines dirigeantes témoignent de cette frustration : être invitées à des conférences ou mises en avant dans des campagnes de communication non pas pour leur parcours professionnel, mais pour « représenter » la diversité. Cela peut donner le sentiment de vouloir paraitre égalitaire plutôt que de reconnaître une légitimité professionnelle. J’ai moi-même été contactée par une grande institution de représentants des entreprises qui recherchait son « quota » de femmes dirigeantes !
Enfin, mettre systématiquement en avant la dimension « femme » invisibilise la réalité des compétences. Une manager peut être visionnaire, pragmatique, inspirante ou médiocre… comme n’importe quel manager, quel que soit son genre. Continuer à parler de « femmes managers » entretient donc une distinction qui, à terme, freine la normalisation de leur présence.
Dans les entreprises, il existe de nombreux programmes de « leadership au féminin », des réseaux féminins, des labels d’entreprises, tout ceci pour montrer leur engagement pour l’équité femme/homme.
Ces initiatives sont utiles pour accélérer le processus de la mixité, pour accroitre la visibilité, montrer des réussites féminines et mettre en avant des modèles. En même temps, ils traduisent une situation ambivalente : pour avancer vers l’égalité, on cultive la différence.
Mettre en place ces programmes peut aussi véhiculer l’idée pour les hommes dirigeants que le problème ce n’est pas eux et leurs stéréotypes ou biais, mais les femmes elles-mêmes …
Ce paradoxe doit avoir une durée de vie limitée et devenir superflu. Le jour où l’on n’aura plus besoin de programmes managériaux spécifiques à destination des femmes, ce sera sans doute le signe que l’égalité réelle est atteinte et que la norme ne sera plus masculine ! Vivement leur disparition !
Une des pistes pour lutter contre le plafond de verre est de déplacer le débat : ne plus parler des « femmes managers » ou de « leaders au féminin », mais de la diversité et de la singularité des managers. Voilà quelques idées d’actions pour lutter contre le plafond de verre.
Ce qui importe en premier dans un poste de manager c’est la performance et la compétence des individus. Réussir en tant que manager n’est donc pas l’apanage d’un sexe. Il est important de se baser sur les compétences de leadership : les capacités à développer une réelle écoute active, à donner du sens et partager une vision, à être innovant, à prendre une décision, à pratiquer l’intelligence collective, etc… des compétences qui ne sont pas liées au genre.
Le mentorat est une pratique qui génère engagement et performance. Dans une relation de mentorat inversé, chacun apprend des choses à l’autre et tout le monde est gagnant. Cela permet d’éviter la posture de “l’homme sachant” face à “la femme apprenante”. Trop de parcours exclusivement féminins tendent à cloisonner davantage les relations hommes / femmes en entreprise. La mixité, au contraire, ouvre des espaces d’échanges où chacun découvre la richesse de l’autre et nourrit l’envie de continuer à apprendre et travailler ensemble.
Apprenons à valoriser l’ascension ou la réussite d’une personne. La sémantique est importante : éviter de dire « elle est la première femme à diriger telle entreprise » comme on peut l’entendre souvent dans les médias. Il vaut mieux mettre en avant le fait que cette femme a « doublé le Chiffre d’affaires à l’exportation grâce à sa stratégie innovante », non ?
Imaginons que je vous montre deux photos : une femme puis un homme chacun coiffé d’un casque audio et que je vous pose la question suivante : « quel est leur métier ? ». De nombreuses études montrent que les personnes répondent avec des métiers comme « trader » pour l’homme, quand ils vont indiquer « hôtesse d’accueil ou téléconseillère » pour la femme ! C’est le fait des biais cognitifs inconscients. Former tous les collaborateurs à se méfier de ces biais peut s’avérer utile.
Autre piste : inscrire des objectifs de mixité dans la stratégie globale, non pas comme un quota à atteindre, mais comme un véritable levier de performance et d’innovation. La diversité et l’inclusion devraient être considérées comme une norme intégrée au fonctionnement de l’entreprise, et non comme une exception mise en avant pour simplement donner l’image d’être inclusive.
En synthèse, des avancées sont observées pour limiter le plafond de verre et ses conséquences pour les femmes. Il reste encore du chemin à parcourir… car le plafond de verre continue d’exister. Evoquer la position d’un leader en précisant son genre surtout quand le poste est occupé par une femme est tout simplement honteux en 2025 ! Il est temps de sortir de cette logique rétrograde.
Les femmes cherchent leur légitimé en tant que leaders pour leurs compétences, leur vision et leur performance. Et si elles commettent des erreurs, elles veulent un traitement qui ne serait ni plus, ni moins que celui pour un homme. Le vrai progrès sera atteint quand on pourra simplement parler de « managers », sans préciser le genre, sans ajouter une étiquette, sans être obligé de compter le nombre de femmes dans un comité de direction.
A garder en tête pour ceux qui hésitent encore ; la loi pousse en ce sens…avec une obligation de représentation équilibrée entre les femmes et les hommes parmi les cadres dirigeants et les membres des instances dirigeantes des grandes entreprises, accompagnée d’une obligation de transparence en la matière.