Pourquoi le questionnement reste difficile pour de nombreux managers ? Quels sont les freins ? Et surtout comment transformer le questionnement en véritable outil de leadership ?
Le monde du travail a profondément changé. Le télétravail, l’usage massif des messageries instantanées, la coexistence de plusieurs générations et de cultures différentes dans une même organisation ont transformé nos façons de communiquer. Les réunions se veulent plus courtes, plus efficaces, et les moments d’échanges libres ou de réflexion collective sont devenus plus rares.
Dans ce contexte, une tendance s’installe insidieusement : nous affirmons davantage que nous ne questionnons. Autrement dit, nous privilégions la rapidité d’une idée posée ou d’une directive donnée à la richesse d’une discussion qui demande du temps.
Si l’art du questionnement tend à disparaître des pratiques managériales quotidiennes, c’est pour plusieurs raisons.
D’abord, poser une question revient souvent à se mettre en position de vulnérabilité. Interroger l’autre, c’est accepter que ses propres idées puissent être remises en cause, c’est s’exposer à une contradiction ou à une déstabilisation. Beaucoup de managers choisissent alors de s’en protéger en affirmant plutôt qu’en questionnant.
Ensuite, le facteur temps joue un rôle central. Prendre le temps de confronter ses idées, de réfléchir à plusieurs, de discuter, d’argumenter et de chercher des solutions collectivement demande un investissement que l’on croit ne pas pouvoir se permettre. Affirmer, en apparence, fait gagner du temps.
Troisième frein : l’incertitude sur la manière de poser les bonnes questions. Dans un environnement de travail où chacun est soumis à la pression et aux urgences, une question peut facilement être perçue comme une critique déguisée ou comme une tentative de manipulation. Elle met l’interlocuteur sur la défensive, ce qui peut bloquer la communication au lieu de l’ouvrir.
Enfin, poser des questions peut représenter un risque pour l’image professionnelle. Dans certaines cultures d’entreprise, celui qui doute ou qui interroge peut être considéré comme fragile ou peu sûr de lui. Le modèle dominant reste celui du manager affirmatif, certain de ses idées et de ses choix. Questionner, au contraire, peut être vu comme un signe de faiblesse.
Pourtant, le monde a changé et les attentes des collaborateurs également. Dans un environnement complexe et mouvant, le leadership ne peut plus seulement se résumer à trancher ou à affirmer. Il s’incarne aussi dans la capacité à poser les bonnes questions, à susciter la réflexion et à engager l’intelligence collective.
Le questionnement devient alors un outil de management à part entière. Il permet d’impliquer réellement les équipes, de créer un climat d’ouverture où toutes les idées sont accueillies, d’encourager la coopération entre des profils différents et de réduire les tensions en transformant l’affrontement en dialogue. Questionner plutôt qu’imposer, c’est ouvrir la porte à des opinions diverses, c’est stimuler l’apprentissage et donner naissance à des espaces d’échanges riches et constructifs.
Il faut cependant reconnaître que le questionnement n’est pas naturel dans nos cultures occidentales. La question est encore trop souvent associée à l’idée d’un piège, comme lors d’un entretien d’embauche ou d’une évaluation de performance. Or, ce n’est souvent pas la question en elle-même qui pose problème, mais la manière dont elle est posée.
Un manager qui sait interroger avec une intention claire, bienveillante et constructive, gagne en crédibilité et en confiance auprès de ses équipes. Le questionnement, lorsqu’il est pratiqué avec empathie et dans une logique d’écoute active, devient un puissant levier de motivation. Mais cela suppose d’accepter le rythme de l’autre : laisser à son interlocuteur le temps de réfléchir, de se saisir de la question et d’y répondre pleinement. Trop souvent, la tentation est grande de combler les silences. Or, c’est précisément dans ces moments de pause que naissent les idées les plus intéressantes.
Toutes les questions ne se valent pas. Certaines nourrissent l’échange, stimulent la réflexion et renforcent l’engagement.
Un manager peut notamment poser des questions très ouvertes qui permettent de prendre de la hauteur et d’envisager une vision différente d’un problème. D’autres questions, plus critiques mais toujours bienveillantes, invitent à remettre en cause des certitudes et à confronter des points de vue, ce qui élargit le champ des possibles.
Il est aussi utile d’inviter les collaborateurs à se mettre dans la peau d’un autre métier ou d’un autre service, afin de varier les perspectives. Une équipe marketing peut ainsi être amenée à réfléchir comme une équipe commerciale, ce qui favorise une meilleure compréhension mutuelle.
Dans une autre approche, certaines questions attirent volontairement l’attention sur des détails ou des failles potentielles. Loin d’être des freins, elles permettent d’apporter des nuances et d’éviter des angles morts. Enfin, il est essentiel d’oser poser des questions stratégiques qui sortent du cadre opérationnel immédiat et qui ouvrent sur une réflexion plus large.
Le manager qui pratique ainsi l’art du questionnement ne se contente pas d’apporter des réponses toutes faites. Il crée les conditions pour que son équipe trouve, ensemble, des solutions nouvelles.
Pratiquer le questionnement ne signifie pas transformer chaque échange en interrogation permanente. Poser trop de questions peut donner l’impression d’un interrogatoire et bloquer la discussion. Tout l’art consiste à trouver un équilibre : poser une question clé plutôt que plusieurs superficielles, encourager aussi les collaborateurs à questionner le manager pour instaurer un vrai dialogue, et surtout laisser émerger les idées plutôt que de vouloir tout contrôler.
C’est une posture qui demande de l’écoute, de la patience et une capacité à accueillir les réponses sans jugement. C’est aussi un état d’esprit : celui de la curiosité, de l’ouverture et du respect.
L’art du questionnement n’est pas inné. C’est une compétence à développer et à entretenir. Elle demande de l’entraînement, de la pratique et une intention claire : non pas contrôler ou piéger, mais stimuler, valoriser et engager.
Un leadership fondé sur le questionnement favorise la réflexion, renforce la confiance et crée les conditions de l’intelligence collective. À l’inverse d’un modèle autoritaire qui impose ses vérités, ce leadership-là inspire, rassemble et fait grandir. Et si, finalement, le vrai pouvoir d’un manager résidait moins dans ses certitudes que dans sa capacité à poser les bonnes questions ?
💡 Et vous, quelle est la dernière question puissante que vous avez posée à vos équipes ?