Faut-il être feignant pour bien manager ?

Pendant longtemps, et déjà à l'époque de mes examens, j'ai toujours dit que j'étais un peu « feignante ». La feignantise n'a pas bonne presse et pourtant je trouve que c'est une forme d'intelligence si elle est couplée avec une envie de performer et de réussir. Et s’il fallait développer sa feignantise pour développer sa performance managériale ?
Développer sa fainéantise pour être plus performant
Les managers fainéants sont-ils plus performants ?

Quels sont les enjeux quand on est manager ?

J’ai tellement côtoyé de personnes qui travaillaient énormément pour un résultat vraiment très moyen que cela ne m’a jamais motivée ! Quand j’étais étudiante par exemple, certains de mes amis passaient beaucoup d’heures à réviser alors que j’arrivais toujours à me réserver du temps pour aller boire un verre ou aller au cinéma. De même, arrivée dans le monde du travail, j’avais de nombreux collègues ou collaborateurs qui passaient énormément de temps au bureau ou chez eux à toujours travailler ! C’est quelque chose qui m’a toujours beaucoup étonnée.

Aujourd’hui, de nombreuses organisations ont du mal à motiver certains collaborateurs  à devenir manager. En effet, ceux-ci sont persuadés qu’ils vont avoir une charge de travail trop importante avec une rémunération associée qui n’est pas assez motivante. Au vu du travail à fournir et des responsabilités associées, manager est une fonction qui ne fait plus vraiment rêver…Et c’est un véritable problème pour les entreprises. Dans cet article, je vais partager avec vous tous les moyens que j’ai trouvés pour réussir à être plus efficiente en tant que manager sans passer ma vie au travail !

La base de l’efficacité : Manager ce n’est pas dire mais faire dire, ce n’est pas faire mais faire faire

L’omniprésence d’un manager nuit à l’autonomie et est contreproductive

Quand j’ai démarré en management, je pensais qu’il fallait montrer que je maîtrisais tout et que je savais tout faire ! Je n’avais pas forcément énormément confiance en moi, j’avais sûrement un syndrome de l’imposteur bien présent et j’étais persuadée que ma légitimité allait se gagner par ma connaissance et par mes compétences opérationnelles. Donc, forcément je prenais beaucoup de place, j’intervenais sur beaucoup de dossiers et j’étais une manager présente partout pour montrer à quel point j’étais indispensable ! 

Quelle erreur ! Le rôle du manager n’est pas de donner du poisson à ses collaborateurs mais bien de leur apprendre à pêcher ! Et avant toute chose, de partager avec eux les bénéfices qu’il y a à pêcher ! 

Être omniprésent pousse souvent à poser des questions et à apporter soi-même des réponses. L’intention est souvent très noble ; c’est souvent pour être plus performant, pour aller plus vite, pour être plus utile à ses collaborateurs et pour satisfaire sa hiérarchie… mais l’omniprésence est en réalité contre-productive. 

L’art de la maïeutique pour rester en vigilance sur les sujets stratégiques

S’il est présent partout, le manager va travailler beaucoup, ne pas compter ses heures, il va se fatiguer, se noyer dans des sujets, il peut se retrouver à gérer des détails qui ne devraient pas être traités à son niveau. Et il risque d’avoir rapidement des problèmes avec la gestion de ses priorités et de ne pas être à l’attendu de sa hiérarchie sur les sujets plus stratégiques.

De plus, cette posture de présence intense ne valorise pas les collaborateurs et risque de les démoraliser et de restreindre leur motivation au travail. Le manager va ainsi créer une relation de dépendance qui est nocive à toute forme d’autonomie et qui en plus lui fera perdre beaucoup de temps.

La posture attendue du manager consiste donc à poser un maximum de questions aux collaborateurs afin qu’ils arrivent à trouver les solutions par eux-mêmes. Cela s’appelle la maïeutique et c’est une technique très puissante. La meilleure question à poser à un collaborateur qui vient voir son manager avec une problématique, c’est de lui demander « et toi tu as pensé à quoi ? tu ferais comment ? ». Très souvent, le collaborateur a déjà des éléments de réponse mais souhaite une validation de la part de son manager. Plus le manager nourrira sa confiance en lui et son estime de soi en lui montrant qu’il a les ressources en lui, plus le collaborateur deviendra autonome. Le manager doit aussi enfiler sa tenue de « coach » pour apprendre à ses collaborateurs comment réaliser telle ou telle tâche plutôt que de la faire lui-même. Bien sûr au début c’est un investissement en temps car cela irait plus vite si le manager le faisait lui-même. Mais sur la durée, c’est beaucoup plus efficace et cela permettra au manager de se libérer du temps.

Voilà 6 idées pour être efficace dans son rôle de manager.

Idée N°1 : Poser le cadre pour gagner du temps 

Il est essentiel de prendre le temps de poser le cadre et les règles du jeu de l’équipe afin qu’ils soient clairs pour tout le monde. Cela évite ainsi au manager de répéter sans arrêt les mêmes choses ; et il est vraiment intéressant de prendre un temps collectif pour définir ensemble les valeurs et règles qui réunissent tous les membres de l’équipe et de réfléchir ensemble aux comportements et façons de faire attendus.

Cela servira de cadre de référence pour intégrer une nouvelle personne ou pour remettre du cadre avec un collaborateur qui ne respecte pas les consignes établies. Cela deviendra la charte des « droits et des devoirs » de tous car le manager s’engage, lui aussi, par rapport à ce cadre.

Le manager peut réfléchir en amont aux règles et à la façon dont il veut que fonctionne l’équipe mais il a tout intérêt à travailler de façon collaborative avec son équipe s’il veut augmenter sa probabilité de voir les règles du jeu respectées par tous. 

En fonction de l’activité de l’équipe, le manager a tout intérêt à détailler certaines tâches et à prendre le temps d’expliciter les façons de fonctionner dans l’équipe afin que chacun voit concrètement ce qui est attendu. C’est également utile de valider collectivement l’accord de tous par rapport à cette charte comportementale d’équipemais également de prendre quelques minutes individuellement pour ancrer vraiment ces règles du jeu. C’est du temps à investir pour faciliter la vie du manager et de l’équipe dans la durée.

Idée N°2 : Lâcher le contrôle pour favoriser l’autonomie

Beaucoup trop de managers sont dans le micro-management, le sur contrôle qui leur prend beaucoup de temps. Pour comprendre ce besoin de contrôle, les apports de Will Schutz sont éclairants.

Tout être humain a 3 besoins essentiels selon Will Schutz :

  • Un besoin d’inclusion ; c’est-à-dire faire partie d’une équipe, d’un collectif,
  • Un besoin de sympathie ; c’est au sens de se faire apprécier et d’oser être authentique,
  • Et enfin un besoin de contrôle ; c’est-à-dire de sentir que l’on a de l’influence sur les événements, les personnes qui nous entourent.

Ces 3 besoins nourrissent l’estime de soi de chaque personne et contribuent ainsi à la performance de l’organisation. Et derrière chaque besoin il y a une peur sous-jacente. La peur associée aux besoins de contrôle est celle d’être jugée incompétent, de ne pas être à la hauteur. Cette peur pousse de nombreux managers à être dans l’action de façon intense, à vouloir tout savoir, à vouloir se mêler de tous les sujets de l’équipe pour compenser cette inquiétude liée à la vision qu’ils ont du rôle de manager. Ils veulent être irréprochables sur tous les sujets ! Ce qui est finalement très présomptueux et irréaliste.

Prendre conscience en tant que manager qu’il est illusoire de croire qu’on peut être au cœur de toutes les interactions est essentiel pour laisser davantage la place aux collaborateurs, pour leur faire confiance et pour mettre à mort des croyances du style « la confiance n’exclut pas le contrôle », phrase qui est tout de même attribuée à Lénine ! Un modèle du management moderne ! Non, bien sûr je suis ironique 😊

Idée N°3 : Déléguer réellement

Bon nombre de managers croient déléguer alors qu’ils ne font que confier des tâches. Quand un manager confie une tâche, il en garde la responsabilité et suit de façon marquée le travail de son collaborateur. Ce dernier a peu de latitude et doit finalement suivre les directives imposées par son manager. Ce n’est donc certainement pas là que le collaborateur peut faire preuve de créativité et d’autonomie. Le collaborateur ne va probablement pas s’épanouir dans une mission de ce type !

Quand un manager délègue une mission, certes il pose le cadre, fixe l’enveloppe budgétaire et les contraintes du projet, mais il accepte aussi que la responsabilité incombe à son collaborateur. Cela signifie concrètement qu’une délégation peut être refusée par le collaborateur, et surtout qu’il a des marges de manœuvre pour être force de proposition et agir. Il peut faire preuve de créativité, mettre en œuvre ses idées dans le cadre défini.

Quel est l’intérêt pour chacun ? le collaborateur se trouve plus engagé dans sa mission et dans une relation de confiance et le manager gagne du temps et peut faire autre chose : c’est du gagnant/gagnant. Mais force est de constater que de nombreux manager ne sont pas dans la véritable délégation… Il y a encore pas mal de chemin à parcourir.

Et vous ; vous en êtes où ? 😊

Idée N°4 : Laisser ses collaborateurs s’organiser de façon autonome

Quand dans nos formations nous posons la question à des managers sur leur capacité accepter que leurs collaborateurs organisent des réunions, des RDV ou des phases d’avancement de projets sans leur manager, nous nous rendons compte que c’est encore difficile dans l’esprit de bon nombre d’entre eux … Quelles peuvent en être les raisons ? Sûrement un mélange entre une envie de se sentir utile ? de contrôler ce qui se passe ? peut-être aussi une problématique d’égo ? Les facteurs sont souvent multiples.

Nous encourageons tous les managers à laisser leurs collaborateurs organiser leur travail de façon autonome, en y allant progressivement, en demandant par exemple un compte rendu de la réunion à laquelle ils n’ont pas assistée pour réussir pas à pas, de façon « homéopathique », à lâcher le contrôle.

Là encore, le bénéfice est double ; valoriser et encourager les collaborateurs à prendre pleinement leur place et aussi bien évidemment se dégager du temps pour mener des actions à plus forte valeur ajoutée.

Je suis vraiment très surprise de cette volonté qu’ont beaucoup de managers d’être toujours présents à tous les événements de l’équipe alors qu’ils se plaignent quasiment en permanence d’être complètement débordés et de ne pas avoir le temps de véritablement manager ou de mener des projets d’ordre stratégique ! Quel merveilleux paradoxe quand même ! C’est vraiment à chaque manager de mesurer quels sont les gros cailloux – métaphore des actions à forte valeur ajoutée – qu’ils ont à mettre dans leur agenda plutôt que de se laisser envahir par les petits cailloux, le sable ou encore l’eau qui symbolisent bien évidemment les actions non importantes de leur travail…

Idée N°5 : Favoriser le partage d’expériences

Il est essentiel qu’au sein d’une équipe chacun sache ce que fait l’autre ; le but étant de partager les meilleures idées chez chacun pour faire gagner du temps à ses collègues, pour avoir les meilleures pratiques et éviter également des erreurs répétitives. Le manager doit prendre en compte que l’expérience n’a pas d’âge, surtout à l’heure de l’intelligence artificielle. Ce que nous voulons dire, c’est que le retour d’expérience est intergénérationnel. Les plus expérimentés de l’équipe ont certes des choses à apporter à leurs collègues mais ceux qui viennent de rejoindre l’équipe, jeunes ou moins jeunes, ont forcément acquis de belles choses durant leurs études ou leurs expériences passées dans d’autres organisations. Nous invitons les managers à chercher les talents même cachés chez chacun de leurs collaborateurs afin de multiplier les bonnes idées et de ne pas stigmatiser telle ou telle catégorie de personnel. En faisant cela, le manager favorise le collaboratif, ouvre le champ des possibles, contribue à la motivation de chacun de ses collaborateurs. Cela permet vraiment d’être plus efficient dans l’équipe ! 

Idée N°6 :  Savoir recycler les idées 

Un manager est payé aussi pour réfléchir, anticiper les événements et préparer le futur. S’il a sans arrêt la tête dans le guidon et qu’il enchaîne les réunions les unes après les autres, il n’a forcément plus de temps pour laisser son esprit vagabonder, prendre de la hauteur pour préparer l’avenir. Il ne s’agit pas d’être créatif à la façon de Léonard de Vinci qui pour le coup a inventé énormément de choses, mais plutôt d’avoir une capacité à capter les meilleures idées pour pouvoir, avec une légère adaptation, les recycler avec intelligence pour être dans l’innovation et la performance. Nous sommes convaincus que c’est possible pour bon nombre de managers à partir du moment où ils ont un peu de temps pour « faire leur girafe » et être ainsi force de proposition.

Alors ? Convaincu de la force de la feignantise ou plutôt de l’efficience qui consiste à mettre le minimum d’énergie pour avoir un résultat proche de l’excellence ? C’est à vous de jouer !